Résistance abusive du débiteur : obtenir des dommages-intérêts

Un impayé, puis un silence. Ou un jugement gagné… mais jamais exécuté. Pour les TPE/PME et ETI, la résistance d’un débiteur peut vite devenir un coût caché : trésorerie sous tension, temps du dirigeant absorbé, procédures à répétition, crédibilité bancaire fragilisée.

Le droit français permet de sanctionner certains comportements par une condamnation à des dommages-intérêts pour résistance abusive. Attention toutefois : la sanction n’est pas automatique. Elle suppose une faute caractérisée, et surtout un dossier probatoire solide.

Objectif de cet article : vous expliquer quand la résistance devient juridiquement “abusive”, quels textes invoquer, quel juge saisir, et comment maximiser vos chances d’obtenir une indemnisation.

I. Résistance abusive : définition simple et cas fréquents

La résistance abusive correspond à un comportement du débiteur qui dépasse le simple retard ou la simple contestation. En pratique, elle se manifeste lorsqu’il fait volontairement obstacle à l’exécution d’une obligation (payer, remettre un bien, accomplir une obligation de faire), alors que la situation juridique est claire.

On rencontre deux situations principales :

A. Résistance abusive pendant l’exécution d’un titre exécutoire (terrain du JEX)

Lorsque vous disposez d’un titre exécutoire (jugement, ordonnance, acte notarié) et que le débiteur entrave son exécution, le juge de l’exécution (JEX) peut le condamner à des dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 121-3 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE).

C’est le terrain naturel de la “résistance abusive” au sens du CPCE.

Le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le débiteur à des dommages-intérêts en cas de résistance abusive. – Article L. 121-3 du Code des procédures civiles d’exécution

B. Résistance abusive dans le paiement d’une somme d’argent (terrain du Code civil)

Lorsque le litige porte sur le retard de paiement d’une somme d’argent, la logique est différente : le principe est que le retard se répare par les intérêts moratoires au taux légal (article 1231-6 du Code civil). Une indemnisation supplémentaire est possible, mais uniquement si vous démontrez un préjudice distinct du retard, causé par la mauvaise foi du débiteur.

Cette distinction est décisive, car elle conditionne la preuve à apporter.

Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire. – Article 1231-6 du Code civil

II. Quelles conditions pour obtenir des dommages-intérêts pour résistance abusive ?

Pour les TPE/PME et ETI, la question essentielle est de savoir ce que le juge attend concrètement.

A. Un titre exécutoire régulier et opposable

Dans la plupart des cas, la résistance abusive suppose l’existence d’un titre exécutoire (jugement, ordonnance, acte notarié) et sa notification/signification préalable au débiteur.

Bon réflexe : conserver l’acte de signification, les dates, et la preuve que le débiteur ne pouvait ignorer sa condamnation.

B. Un comportement fautif qui dépasse le simple retard

Le juge distingue :

  • Le retard “simple” : généralement réparé par les intérêts de retard.
  • La contestation sérieuse : le débiteur a le droit de se défendre.
  • La résistance abusive : manœuvres dilatoires, mauvaise foi, obstruction, refus persistant d’exécuter une décision claire.

Exemples de comportements souvent retenus comme abusifs (selon la pratique et la jurisprudence) :

  • Refus réitéré d’exécuter une ordonnance (ex. remise de clés) malgré sa signification.
  • Contestations multiples et manifestement infondées pour retarder la saisie.
  • Obstruction aux opérations d’exécution (non-coopération, dissimulation de biens, entraves).
  • Organisation d’insolvabilité (montages visant à échapper à l’exécution), qui peut aussi relever du pénal dans certains cas.

À l’inverse, le simple fait de “perdre” un procès, ou d’exercer une voie de recours normale, ne suffit pas à caractériser une résistance abusive.

C. Un préjudice réel, concret et distinct du retard dans l'exécution

C’est le point le plus sensible.

Le juge n’indemnise pas un “ressenti”. Il indemnise un dommage prouvé et chiffré, causé par la résistance.

Exemples de préjudices pertinents pour une entreprise :

  • Frais supplémentaires directement causés par l’obstruction (constats, significations répétées, mesures d’exécution multiples).
  • Coûts financiers démontrés (agios, intérêts bancaires supplémentaires, rupture de ligne de crédit) si vous reliez ces coûts au blocage.
  • Désorganisation de l’activité : perte documentée d’un marché, impossibilité de livrer, pénalités subies auprès d’un client.
  • Perte de jouissance ou de revenus : par exemple impossibilité de relouer un local faute de remise des clés.

Conseil : séparer clairement ce qui relève des frais de procédure (souvent discuté via l’article 700 du CPC) et ce qui relève d’un préjudice autonome (résistance abusive). Mélanger les deux affaiblit la crédibilité de la demande.

D. Un lien de causalité clair

Vous devez démontrer que le dommage résulte de la résistance fautive, pas simplement du litige.

La bonne formule : “Sans cette manœuvre / ce blocage, le dommage aurait été évité ou réduit car...”.

III. Une illustration : L'arrêt du 3 décembre 2025

Cette décision est illustre le principe selon lequel on ne peut pas condamner un débiteur pour résistance abusive sans caractériser un préjudice distinct du simple retard, lorsque la demande est fondée sur l’article 1231-6 du Code civil.

Référence de la décision : Cass. com., 3 déc. 2025, n° 24-16.086 (ECLI:FR:CCASS:2025:CO00620).

A. Résumé des faits

Une société (créancier) assigne son cocontractant (débiteur) en paiement d’une prestation, et réclame aussi des dommages-intérêts pour résistance abusive.

La cour d’appel avait condamné le débiteur à 6 000 euros au motif que la créance était due et non payée, et que le refus de paiement avait “nécessairement” causé un préjudice.

B. La solution de la Cour de cassation

La Cour casse partiellement : elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché l’existence d’un préjudice distinct de celui résultant du retard dans le paiement, causé par la mauvaise foi du débiteur, comme l’exige l’article 1231-6 du Code civil.

Elle statue même au fond et rejette la demande : faute, pour le créancier, de justifier d’un préjudice distinct du retard de paiement.

C. Ce que cela change pour les créanciers

Message pratique : si vous réclamez des dommages-intérêts “en plus” des intérêts de retard sur une facture impayée, vous devez apporter des preuves concrètes d’un dommage supplémentaire.

Exemples de preuves utiles dans ce type de dossier :

  • refus bancaire ou augmentation de coût de financement liée au défaut d’encaissement,
  • pénalités contractuelles supportées à cause du défaut de trésorerie,
  • perte d’une opportunité commerciale identifiable,
  • surcoûts administratifs et de recouvrement documentés, non déjà couverts par d’autres mécanismes.

IV. Comment gérer un litige commercial face à un mauvais payeur ?

Voici une stratégie pragmatique, adaptée aux TPE/PME et ETI.

Étape 1 : Sécuriser vos preuves dès le premier impayé

À réunir immédiatement :

  • contrat, devis, bons de commande,
  • preuves de livraison/exécution,
  • factures et échéances,
  • échanges (emails, relances),
  • mise en demeure (idéalement claire, datée, chiffrée, avec délai).

Objectif : rendre incontestable l’existence d’une obligation certaine, liquide et exigible.

Étape 2 : Choisir la bonne voie (amiable, injonction, référé, assignation)

  • Injonction de payer : utile si la créance est peu contestable et documentée.
  • Référé-provision : utile si l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
  • Assignation au fond : si le débiteur conteste réellement ou si le dossier est plus complexe.

Si vous obtenez un titre exécutoire, vous basculez ensuite sur l’exécution.

Étape 3 : Dès le titre obtenu, passer en mode exécution (sans attendre)

Le temps joue souvent contre le créancier. Une exécution rapide limite :

  • l’organisation d’insolvabilité,
  • la dilution d’actifs,
  • la multiplication de contestations opportunistes.

Étape 4 : Identifier le bon fondement pour demander réparation

Trois options (qui peuvent parfois se combiner, mais doivent être bien distinguées) :

  • Résistance abusive devant le JEX (L. 121-3 CPCE) si l’abus se situe dans l’exécution du titre exécutoire.
  • Dommages-intérêts complémentaires au-delà des intérêts de retard (1231-6 Code civil) si vous prouvez un préjudice distinct lié à la mauvaise foi.
  • Procédure abusive (1240 Code civil / 32-1 CPC) si le comportement fautif est principalement procédural (recours dilatoires, malice, légèreté blâmable).

Étape 5 : Chiffrer méthodiquement

Un bon dossier suppose un chiffrage clair.

  • tableau chronologique des manœuvres,
  • tableau des postes de préjudice,
  • pièces justificatives en face de chaque poste.

V. Conclusion : La résistance abusive se plaide mais ne se présume pas

Pour une entreprise, demander la condamnation du débiteur pour résistance abusive peut être un levier efficace, mais seulement si la stratégie est bien définie :

  • choisir le bon terrain juridique (exécution devant le JEX, ou retard de paiement avec préjudice distinct),
  • documenter la faute (dilatoire, mauvaise foi, obstruction),
  • prouver un préjudice concret et chiffré,
  • établir le lien direct entre la résistance et le dommage.

La décision de la Cour de cassation du 3 décembre 2025 rappelle une exigence simple : on ne gagne pas avec des affirmations générales. Le juge veut des faits, des pièces et un préjudice démontré.

Besoin d'assistance dans un litige commercial ou face à un débiteur récalcitrant ? Contactez le cabinet dès aujourd'hui.

Questions fréquentes

Peut-on obtenir des dommages-intérêts simplement parce que le débiteur ne paie pas ?

Pour une dette de somme d’argent, le retard est en principe réparé par les intérêts de retard.

Pour obtenir plus, il faut démontrer une mauvaise foi et un préjudice distinct du retard (principe rappelé par Cass. com., 3 déc. 2025, n° 24-16.086).

Quel juge saisir pour une résistance abusive ?

Si la résistance se manifeste au stade de l’exécution d’un titre (saisie, astreinte, obstacles aux mesures), le juge de l’exécution est en principe compétent (article L. 121-3 CPCE).

Si la demande vise des dommages-intérêts liés à un retard de paiement au-delà des intérêts, elle peut relever du juge du fond selon le litige, sur le fondement de l’article 1231-6 du Code civil.

Peut-on cumuler l'article 700 CPC et des dommages-intérêts pour résistance abusive ?

Oui mais il faut éviter la confusion entre les deux.

L’article 700 vise les frais irrépétibles (notamment les frais d'avocat), tandis que la résistance abusive vise la réparation d’un préjudice causé par une faute.

Les fondements et les postes indemnisés doivent être distingués.

Comment prouver la mauvaise foi du débiteur ?

La mauvaise foi se démontre souvent par un faisceau d’indices : promesses non tenues, absence totale de proposition sérieuse, contestations incohérentes ou répétées, manœuvres pour gagner du temps, obstruction aux diligences d’exécution, organisation d’insolvabilité.

Nous utilisons des cookies pour améliorer votre expérience, analyser le trafic et personnaliser le contenu. En continuant à naviguer, vous acceptez notre utilisation des cookies.