Comment contester une mesure d'instruction in futurum (Article 145 CPC)

L’article 145 du Code de procédure civile (CPC) est un levier puissant en contentieux des affaires : il permet d’obtenir, avant tout procès, une mesure d'instruction pour conserver ou établir une preuve (expertise, constat, production de documents, etc.).

Mais lorsque c'est votre entreprise ou vous même qui êtes visés par une ordonnance 145, il est primordial de reprendre la main et de ne pas laisser votre adversaire occuper le terrain.

Dans cet article, vous trouverez :

  • les voies de recours selon le type d’ordonnance (requête ou référé)
  • les délais à surveiller (dont le piège du délai-butoir de 2 ans)
  • les motifs de contestation les plus efficaces (contradictoire, motif légitime, proportionnalité)
  • un plan d’action concret pour les entreprises, (ex-)dirigeants et (ex-)salariés

I. Le cadre juridique en 2 minutes : À quoi sert l’article 145 CPC ?

L’article 145 CPC permet de demander au juge d'ordonner, avant tout procès, des mesures d’instruction s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

La demande fondée sur l'article 145 CPC :

  • peut être formée en référé (procédure contradictoire) ou sur requête (procédure non contradictoire).
  • relève de la compétence de la juridiction compétente au fond ou celle du lieu d’exécution de la mesure.

II. Réagir face à une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 145 CPC

Étape 1 – Identifier le type d’ordonnance : sur requête ou en référé ?

C’est le point de départ de toute stratégie : les recours ne sont pas les mêmes.

A. Ordonnance sur requête (non contradictoire)

Une ordonnance sur requête est une décision rendue sans débat contradictoire, uniquement lorsque le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Si la requête est refusée par le juge, vous ne serez jamais informé (sauf si la partie le révèle volontairement ou par inadvertance). Si la requête est acceptée, vous sevrez informé le jour de l'exécution de l'ordonnance autorisant la mesure d'instruction. Un commissaire de justice vous remettra une copie de la requête et de l'ordonnance y faisant droit.

En pratique, l'ordonnance est rendue sur requête lorsque le demandeur invoque un risque de dissimulation/destruction de preuves.

B. Ordonnance de référé (contradictoire)

L'ordonnance de référé est rendue contradictoirement.

Vous avez donc dû recevoir une assignation devant le Tribunal de commerce (devenu Tribunal des activités économique à Avignon, Auxerre, Le Havre, Le Mans, Limoges, Lyon, Marseille, Nancy, Nanterre, Paris, Saint-Brieuc et Versailles) ou devant le Tribunal judiciaire.

À l'issue de la procédure, le juge rendra une ordonnance autorisant ou rejetant la mesure d'instruction sollicitée par la partie adverse. Si le juge ordonne la mesure, des voies de recours sont ouvertes (voir Étape 2 ci-dessous).

Si vous venez de recevoir une assignation et que le juge n'a pas encore statué, vous devez désigner un avocat afin d'être représenté. Les principaux arguments que vous pourrez faire valoir devant le juge sont les mêmes qu'en cas de recours contre l'ordonnance autorisant la mesure d'instruction (voir Étape 3 ci-dessous).

Étape 2 – Les voies de recours ordinaires : quelle procédure et quel délai ?

A. Si l’ordonnance 145 est rendue sur requête : la rétractation d’abord

1. Le premier recours : le référé-rétractation

Lorsque la requête est accueillie, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance : c’est la demande de rétractation (ou de modification) de l'ordonnance. Cette voie de recours vise à rétablir le contradictoire.

Le juge peut modifier ou rétracter, même si le juge du fond est ensuite saisi.

Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire. – Article 497 du Code de procédure civile

Points clés :

  • Compétence : le même juge qui a rendu l'ordonnance (compétence exclusive, à peine d’irrecevabilité). En pratique, il s'agit du Président de la juridiction compétente.
  • Délai : pas de délai légal spécifique prévu pour déposer la rétractation, mais en pratique il faut agir le plus vite possible.

Très important : En cas de séquestre provisoire pour assurer le secret des affaires (articles L. 153-1 et R. 153-1 et suivants du Code de commerce), il est essentiel d'agir dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision. À défaut, le séquestre sera levé et les pièces saisies seront transmises au requérant.

2. Le second recours : l'appel

La décision rendue sur la rétractation (ordonnance de référé) est en principe susceptible d’appel selon le régime des ordonnances de référé.

Le délai d'appel est de 15 jours à compter de la signification de la décision. Le cas échéant, les parties peuvent se prévaloir des délais de distance prévus aux articles 643 et suivants CPC (permet de bénéficier d'1 à 2 mois de délai supplémentaire dans certaines situations liées à l'éloignement de la partie concernée).

L'ordonnance de référé peut être frappée d'appel à moins qu'elle n'émane du premier président de la cour d'appel ou qu'elle n'ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l'objet de la demande.L'ordonnance rendue en dernier ressort par défaut est susceptible d'opposition.
Le délai d'appel ou d'opposition est de quinze jours. – Article 490 du Code de procédure civile

B. Si l’ordonnance 145 est rendue en référé

1. L’appel immédiat

L'ordonnance rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile peut faire l'objet d'un appel immédiat (Cass. ch. mixte, 7 mai 1982, n° 79-12.006).

Comme pour l'appel de l'ordonnance statuant sur le référé-rétractation, le délai d'appel est de 15 jours à compter de la signification de la décision.

Le cas échéant, les parties peuvent également se prévaloir des délais de distance prévus aux articles 643 et suivants CPC (permet de bénéficier d'1 à 2 mois de délai supplémentaire dans certaines situations liées à l'éloignement de la partie concernée).

2. Le piège du délai-butoir de 2 ans

Si l'ordonnance n'a pas été signifiée, le délai de 15 jours ne court pas. Mais attention, un délai-butoir de 2 ans s'applique tout de même : si le jugement n’a pas été notifié dans les 2 ans du prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après ce délai (Cass. Civ. 2, 6 juin 2013, n° 12-21.683).

Cette solution est également transposable à l'ordonnance rendue à l'occasion d'un référé-rétractation.

Étape 3 – Les motifs de contestation : les arguments les plus pertinents

Les moyens efficaces se structurent en deux blocs : (1) le fond (conditions de l’article 145), (2) la procédure (requête/contradictoire/forme).

A. Contestation des conditions de fond

1. Existence d’un procès déjà engagé sur le même litige

L’article 145 suppose une demande avant tout procès sur le même litige : si une instance au fond est déjà engagée, c’est une fin de non-recevoir qui ne pardonne pas.

À noter : L'absence d'instance au fond s'apprécie à la date de la saisine du juge (i.e.: date à laquelle la requête est déposée ou date à laquelle l'assignation est enrôlée).

2. Absence de “motif légitime”

C’est l'un des axes centraux : pas de motif légitime, pas de mesure 145.

Concrètement, vous attaquez :

  • l’absence de réel litige à venir
  • la mesure d'instruction exploratoire (fishing expedition)
  • l’inutilité probatoire (ce qui est demandé n’éclaire pas le litige identifié)

3. Mesure non admissible, inutile et disproportionnée

La mesure doit être circonscrite dans son objet et son temps : ce qui est trop large, intrusif ou non ciblé est attaquable.

En pratique, cela peut s'avérer utile afin que le juge modifie son ordonnance : limitation de période, tri par mots-clés, filtre par expert, séquestre, etc.

B. Contestation des conditions de forme

1. Absence de justification de la dérogation au contradictoire (ordonnance sur requête)

L'ordonnance sur requête n’est admise que lorsque les circonstances exigent de ne pas convoquer l’adversaire.

Le juge de la rétractation doit vérifier que la requête et l’ordonnance caractérisent des circonstances concrètes (pas des formules générales et abstraites). Il s'agit d'un argument à ne surtout pas négliger.

Les arguments retenus par la jurisprudence :

  • Risque de disparition des preuves invoqué de manière générale, sans éléments circonstanciés. La jurisprudence sanctionne ce type de motivation stéréotypée.
  • Risque de destruction des preuves uniquement motivé par la nature électronique des documents. La volatilité des données ne suffit pas à justifier la dérogation au contradictoire.
  • Mise en demeure envoyée avant la saisine sur requête. Dans une décision controversée, la Cour de cassation a jugé que la mise en demeure préalable excluait l'effet de surprise recherché par l'ordonnance sur requête et que la dérogation au contradictoire n'était donc pas justifiée (Civ. 2, 18 janvier 2024, n° 21-26.001).

À noter : Le juge de la rétractation doit se placer au moment où l'ordonnance sur requête a été rendue pour apprécier si la dérogation au contradictoire était justifiée. Autrement dit, il n'est pas possible de justifier a posteriori la dérogation au contradictoire. Seuls les motifs de la requête et de l'ordonnance doivent être pris en compte.

2. Irrégularités formelles : Pièces, notification, périmètre de mission

En pratique, trois contrôles sont fréquents :

  • la requête doit comporter l’indication précise des pièces invoquées
  • l’ordonnance doit être motivée et une copie de la requête et de l’ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée
  • la mission confiée au commissaire de justice / expert doit être suffisamment encadrée (sinon, contestation pour généralité et atteinte excessive)

C. Secret des affaires et données sensibles

En contentieux des affaires, l’ordonnance 145 vise souvent des documents stratégiques (fichiers clients, prix, marges, codes sources, contrats).

Vous pouvez demander au juge :

  • un séquestre (pièces placées sous scellés, accès limité aux avocats)
  • un tri par expert/huissier avec mots-clés
  • l’occultation de données non nécessaires
  • une limitation stricte de période et de supports

Ces aménagements permettent de concilier droit à la preuve et secret des affaires.

III. Plan d’action pour réagir en 72 heures

  1. Identifier le type d’ordonnance : requête ou référé, date, juridiction, périmètre.
  2. Sécuriser l'historique de ce qui a été fait : procès-verbal, inventaire, copie des actes, supports visés.
  3. Saisir un avocat pour vous représenter et commencer à réunir des éléments sur :
    • dérogation au contradictoire (si requête)
    • motif légitime / litige potentiel
    • proportionnalité / secrets d'affaires
  4. Anticiper le fond : si un procès est probable, bâtir dès maintenant la stratégie contentieuse.

IV. Conclusion

Contester une ordonnance rendue sur le fondement de l’article 145 CPC est un exercice à la fois technique et stratégique.

La clé est d’identifier rapidement le type de procédure (requête ou référé), de choisir la bonne voie de recours (rétractation, appel, puis éventuellement pourvoi en cassation), et d’attaquer avec méthode : motif légitime, contradictoire, proportionnalité, protection du secret des affaires.

Pour la personne requise, l’enjeu est clair : protéger ses intérêts (données, secrets, réputation) et ne pas laisser l’adversaire prendre une avance procédurale déterminante.

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Questions fréquentes

Quel est le délai pour contester une ordonnance autorisant une mesure d'instruction in futurum (article 145 CPC) ?

  • Ordonnance sur requête : pas de délai pour demander la rétractation de l'ordonnance, mais agir vite est essentiel, en particulier si vous bénéficiez d'une mesure de séquestre (sans demande de rétractation dans un délai d'un mois le séquestre pourra être levé).
  • Ordonnance de référé : délai de 15 jours à compter de la signification ; délai-butoir de 2 ans en l'absence de signification.

Peut-on suspendre l’exécution de la mesure ?

L’ordonnance sur requête est exécutoire immédiatement.

En pratique, on vise soit une rétractation rapide, soit un encadrement (séquestre, tri) pour limiter l’impact.

Comment réduire le périmètre de la mesure d'instruction ?

Demandez la modification de l'ordonnance : limiter la période, les supports, imposer un tri (mots-clés), mise sous séquestre, etc.

Le secret des affaires suffit-il à bloquer une mesure d'instruction in futurum (article 145 CPC) ?

Non, ce n’est pas un bouclier absolu.

En revanche, le juge doit encadrer et proportionner ; le séquestre et le filtrage (mots-clés) sont les outils à sa disposition.

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