Résiliation d'un contrat à durée déterminée et dommages-intérêts

La rupture d’un contrat avant son terme est un classique du contentieux des affaires : prestation de services stoppée, contrat de maintenance dénoncé, accord de distribution interrompu, marché de travaux abandonné. Pour une entreprise, l’enjeu est immédiat : peut-on exiger le paiement de tout ce qui restait « à courir » jusqu’à la fin, ou seulement une indemnisation ? Et comment chiffrer cette indemnisation sans se voir reprocher une surévaluation ?

En droit commun des contrats, la réponse est aujourd’hui très claire : après une résiliation anticipée d’un contrat à durée déterminée, le prix des prestations non exécutées n’est pas dû ; la réparation passe par des dommages-intérêts évalués selon le préjudice réellement subi, en tenant compte des coûts évités. La Cour de cassation l’a rappelé avec force dans un arrêt du 3 décembre 2025 (Cass. com., 3 décembre 2025, n° 24-17.537).

I. Comprendre le cadre : durée déterminée, rupture avant terme et sanction

A. Le principe : un contrat à durée déterminée doit aller jusqu’au terme

En droit commun, un contrat conclu pour une durée déterminée est censé être exécuté jusqu’à l’échéance convenue : chacune des parties s’engage pour la période fixée.

Conséquence pratique : rompre « par convenance » avant le terme (sans clause, sans motif légal, sans inexécution suffisamment grave) expose son auteur à une responsabilité contractuelle.

B. Résiliation, résolution, exception d’inexécution : de quoi parle-t-on ?

Dans la pratique, les entreprises parlent de « résiliation » pour toute fin anticipée.

Juridiquement, lorsqu’elle sanctionne une inexécution, on se situe souvent sur le terrain de la résolution (judiciaire, par clause résolutoire ou unilatérale), avec l’arsenal des sanctions de l’inexécution (art. 1217 c. civ.).

La résolution unilatérale « aux risques et périls » du créancier suppose, sauf exception, une mise en demeure restée infructueuse et une notification motivée (art. 1226 c. civ.)

Point important pour le dirigeant : même si la rupture est « efficace » (le contrat s’arrête), cela ne tranche pas la question financière. Il faut ensuite déterminer qui supporte le coût de la rupture et comment se calcule le préjudice

II. La règle clé : le prix futur n’est pas dû, seule l’indemnisation du préjudice l’est

A. Le prix n’est dû qu’en contrepartie d’une prestation exécutée

La Cour de cassation l’énonce expressément : « dans l’hypothèse d’une résiliation anticipée d’un contrat à durée déterminée, le prix n’est dû qu’en cas d’exécution de la prestation convenue » (Cass. com. 3 décembre 2025, n° 24-17.537).

Autrement dit, la partie victime ne peut pas exiger le paiement intégral de ce qui restait à facturer « jusqu’au terme », puisque ces prestations ne seront pas réalisées.

Cette ligne est cohérente avec une jurisprudence plus ancienne, déjà connue en matière de prestations de services : la résiliation fautive n’ouvre droit qu’à des dommages-intérêts, éventuellement forfaitisés par clause pénale, mais pas au paiement du prix des prestations non exécutées (ex. Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-15.884 ; Cass. com., 2 décembre 2020, n° 18-17.330).

B. Le fondement : la réparation intégrale (perte subie + gain manqué)

Le droit commun fixe la boussole : les dommages-intérêts dus au créancier sont « en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé » (article 1231-2 du Code civil).

Ce principe s’articule avec l’idée de réparation intégrale « sans perte ni profit » : indemniser tout le préjudice, rien que le préjudice.

III. Comment chiffrer l’indemnisation : méthode opérationnelle

A. Étape 1 : identifier le bon type de préjudice

  1. Le gain manqué : bénéfice net que l’entreprise pouvait attendre de la poursuite du contrat jusqu’au terme du contrat.
  2. La perte subie : dépenses devenues inutiles ou rendues nécessaires par la résiliation (mobilisation de matériel, recrutement, achats spécifiques, études, logistique, etc.).
  3. La perte de chance : uniquement si le gain espéré dépendait d’un aléa (commission conditionnelle, prime de performance, honoraire de résultat, volume futur incertain).

B. Étape 2 : déduire les coûts évités (le point souvent oublié)

L’arrêt du 3 décembre 2025 est central : la Cour de cassation censure une cour d’appel qui avait indemnisé une « perte de chance d’obtenir le paiement intégral du solde du marché », alors que la victime n’avait pas eu à engager les frais qu’elle aurait supportés si le contrat avait été mené à son terme.

Conclusion logique : le préjudice ne peut pas être confondu avec le solde de prix non facturé ; il doit être évalué en tenant compte des charges non supportées, donc en raisonnant en marge brute sur coûts variables.

C’est ici que peut se gagner (ou se perdre) un contentieux :

  • si vous êtes demandeur, vous devez documenter votre marge perdue et expliquer pourquoi certains coûts n’étaient pas évitables (charges fixes incompressibles, immobilisations dédiées, sous-traitance déjà engagée, etc.) ;
  • si vous êtes défendeur, l’argument des coûts évités est un levier puissant pour réduire une demande trop proche du prix contractuel.

C. Étape 3 : prouver et structurer (pièces + narration)

Les juges évaluent concrètement le préjudice. Ils attendent des éléments chiffrés, cohérents et rattachés au contrat :

  • Durée, prix, volume, calendrier, modalités de résiliation
  • Ce qui a été exécuté avant la rupture (factures, correspondances)
  • Marge perdue sur la période restant à courir (chiffre d’affaires restant – coûts variables évités)
  • Frais non amortis / dépenses spécifiques.

D. Exemple de calcul

Un prestataire devait facturer 500 000 € sur les 6 mois restant à courir. Après rupture a rupture du contrat, les prestations ne sont plus exécutées.

Si la rupture est fautive, le préjudice du prestataire serait calculé comme suit :

  • Coûts variables évités (sous-traitance, main-d'oeuvre, matières premières, déplacements) : 150 000 €.
  • Charges fixes non évitables (équipe dédiée déjà recrutée, matériel loué, loyers) : 200 000 €.
  • Dépenses supplémentaires (frais logistiques, désorganisation de l'entreprise, dépenses de communication) : 50 000 €.
  • Marge attendue : 500 000 – 150 000 – 200 000 = 150 000 €.
  • Préjudice plausible : marge perdue (150 000) + charges fixes (200 000) + dépenses supplémentaires (50 000) = 400 000 €.

IV. Le rôle des clauses : clause pénale, plafonds, et pouvoir du juge

A. Clause pénale : l'indemnisation forfaitaire

Les parties peuvent prévoir à l’avance une indemnité de rupture (souvent égale à une fraction des mensualités restantes, ou au « restant dû » plafonné). Cette indemnité conserve la nature de dommages-intérêts, même si elle est calculée par référence au prix restant à courir.

Attention : si la clause pénale existe, on évite en principe de cumuler cette indemnité avec une autre demande qui réparerait le même manque à gagner.

B. Le juge peut modérer (ou augmenter) une clause pénale excessive

Le Code civil prévoit que le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité si elle est manifestement excessive ou dérisoire (art. 1231-5 c. civ.).

Concrètement, une clause « 100 % des sommes restant dues » peut être discutée si elle aboutit à une surindemnisation manifeste, notamment lorsque les coûts évités sont importants.

C. Point de vigilance : ne pas indemniser deux fois le même préjudice

Le principe de réparation intégrale interdit les doubles indemnisations : on ne peut pas faire payer deux fois la même période ou le même manque à gagner (par exemple, réclamer à la fois l’équivalent des commissions jusqu’au terme et une indemnité de « préavis » couvrant la même durée).

V. Illustration jurisprudentielle : l’affaire Valgo / Recyclage de l’Epine (2024-2025)

A. Les faits de l'affaire

Une société de dépollution (Valgo) et un prestataire (Recyclage de l’Epine) étaient liés par un contrat portant sur un chantier de concassage, annoncé pour environ 18 mois. Les prestations de Recyclage de l'Epine ont été suspendues par Valgo.

Le prestataire notifie la résiliation du contrat pour manquements (impayés + modification unilatérale).

B. La cour d’appel (Rouen, 18 avril 2024) : indemnisation en perte de chance

La cour d’appel juge que le prestataire ne peut pas demander le paiement du solde du marché après résolution, mais seulement des dommages-intérêts. Elle qualifie le préjudice en « perte de chance » d’aller au terme et d’obtenir le paiement intégral, évaluée à 90 % du solde (428 376,96 €).

C. La Cour de cassation (3 décembre 2025) : rappel de la logique « marge et coûts évités »

La Cour casse partiellement :

  • le prix n’est dû qu’en cas d’exécution ;
  • le juge doit évaluer le préjudice ;
  • on ne peut pas indemniser comme si la victime avait droit au paiement intégral du solde, alors qu’elle n’a pas supporté les frais de l’exécution complète : il faut tenir compte des coûts évités, donc raisonner en marge sur coûts variables.

L'arrêt de la Cour de cassation manque de clarté sur ce point mais il était également possible de s'interroger sur la pertinence de la nature du préjudice retenu par la cour d'appel (perte de chance plutôt que gain manqué).

VI. Conclusion

La résiliation anticipée et fautive d’un contrat à durée déterminée se répare selon une logique simple, mais exigeante : pas de paiement du prix, seulement des dommages-intérêts fondés sur le préjudice réel (perte subie + gain manqué), calculé selon la marge attendue diminuée des coûts évités.

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Questions fréquentes

Peut-on exiger le paiement de toutes les mensualités jusqu’au terme ?

En principe non : le prix des prestations non exécutées n’est pas dû. La réparation passe par des dommages-intérêts évalués selon la perte et le gain manqué.

Comment calculer l’indemnisation en cas de résiliation anticipée fautive ?

On calcule le préjudice réel : marge perdue (gain manqué) + dépenses engagées en pure perte (perte subie), en déduisant les coûts évités par la non-exécution.

La « perte de chance » est-elle toujours la bonne qualification ?

Non. Elle est adaptée lorsque le gain était incertain ou conditionnel.

Si l’avantage était attendu de façon normale mais non réalisé, on raisonne plutôt en gain manqué (marge), en intégrant les coûts évités.

Une clause prévoyant une indemnité égale au « restant dû » est-elle valable ?

Oui en tant que clause pénale, mais elle reste juridiquement une indemnité (dommages-intérêts) et peut être modérée si manifestement excessive.

Peut-on cumuler clause pénale et dommages-intérêts « de droit commun » ?

On évite le cumul pour réparer le même préjudice. Le principe de réparation intégrale interdit de payer deux fois le même manque à gagner.

Comment gérer un litige commercial lié à une rupture avant terme ?

Réunissez les preuves (contrat, mises en demeure, notifications, échanges), formalisez les manquements, puis chiffrez en logique marge/coûts évités.

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