Mettre fin immédiatement à une relation commerciale établie est tentant quand un partenaire multiplie les manquements, mais c’est juridiquement exceptionnel. Le droit français pose un principe clair : pas de rupture sans préavis écrit adapté à la durée et aux usages, sous peine d’engager votre responsabilité.
Deux portes étroites permettent toutefois une rupture sans préavis : l’inexécution suffisamment grave des obligations par l’autre partie, et la force majeure. Voici ce que les TPE/PME, entrepreneurs et freelances doivent savoir pour limiter les risques.
Le cadre légal : Depuis l’ordonnance n°2019‑359, l'article L.442‑1, II du Code de commerce prévoit un plafond d’exonération à 18 mois pour les litiges portant uniquement sur la durée du préavis et maintient la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution ou force majeure.
1. Rappel utile : qu’est‑ce qu’une « relation commerciale établie » ?
Une relation est établie lorsqu’elle est suivie, stable et habituelle, au point que la partie évincée pouvait anticiper raisonnablement la continuité du flux d’affaires (même sans contrat‑cadre). La jurisprudence admet qu’une succession de contrats ponctuels peut suffire.
2. Principe : préavis écrit obligatoire
La rupture brutale sanctionne la brutalité, pas la rupture en elle‑même : ce qui est puni, c’est l’absence ou l’insuffisance du préavis écrit. Un e‑mail clair peut valoir écrit, à condition de préciser la date de fin (sinon, le préavis est considéré inexistant). La DGCCRF rappelle aussi le champ d’application très large du texte.
Depuis 2019, si le litige ne porte que sur la durée du préavis, 18 mois vous mettent à l’abri d’une action fondée sur une durée insuffisante.
Bon réflexe : formalisez votre rupture par un préavis écrit avec une date de fin précise, un calendrier de transition et des modalités de livraison/facturation jusqu’au terme de la relation.
3. Les deux exceptions permettant une rupture sans préavis
A. Faute grave
La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, de la relation : incidents de paiement répétés, non‑conformités critiques, atteintes à la loyauté (ex. collusion, corruption), atteintes à la sécurité/qualité. Le juge exige une caractérisation stricte de la gravité ; une clause contractuelle prévoyant une résiliation immédiate ne suffit pas à elle seule.
Quelques exemples jurisprudentiels :
- Cass. com., 7 sept. 2022, n° 21‑13.691 : la clause du contrat autorisant sa résiliation immédiate ne suffit pas à justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis. Le juge doit vérifier la gravité du manquement justifiant la rupture sans préavis.
- CA Paris, 4 déc. 2024, n° 22/12973 : la collusion frauduleuse et agissements déloyaux du partenaire commercial caractérisent une faute grave justifiant une rupture immédiate.
- CA Paris, 12 nov. 2025, n° 23/17195 : les incidents de paiement récurrents peuvent fonder la rupture sans préavis s’ils atteignent un degré de gravité suffisant ; la tolérance passée de retards peut, à l’inverse, affaiblir l’argument.
Éléments de preuve attendus par les juges : Mises en demeure restées sans effet, traçabilité des incidents et de leur impact (trésorerie, production, sécurité), incompatibilité factuelle avec la poursuite de la relation, cohérence des motifs de la rupture (éviter les justifications futiles ou opportunistes).
B. Force majeure
La force majeure suppose un événement extérieur, imprévisible et irrésistible, qui empêche l’exécution. Si l’empêchement est temporaire, l’obligation est suspendue ; s’il est définitif, la relation peut être rompue de plein droit.
En pratique, l’exception de force majeure est appréciée strictement : seules des situations telles qu’une grève, un incendie, un embargo ou une liquidation judiciaire sont classiquement admises comme des cas de force majeure.
À retenir : invoquer la force majeure pour rompre immédiatement exige de prouver que poursuivre la relation était objectivement impossible, non simplement difficile ou onéreux. Les clauses contractuelles peuvent aménager la définition, mais ne doivent pas créer un déséquilibre significatif
4. Check‑list pratique avant toute rupture
- Cartographier la relation (durée, volumes, dépendance, investissements) : plus la relation est stable, plus le préavis attendu est important — sauf faute grave ou force majeure avérée.
- Qualifier les manquements : incidents de paiement, non‑conformités, sécurité/qualité, loyauté (ex. collusion). Documentez chaque fautes (preuves, mises en demeure).
- Vérifier les clauses (résiliation immédiate, force majeure, audit/qualité) : utiles, mais non suffisantes sans démontrer la gravité de la faute ou l’existence d'un cas de force majeure.
- Analyser les effets de dépendance économique : peut influencer l’exigence d’un préavis raisonnable (hors faute grave).
- Préparer la notification écrite : motifs précis, faits datés, pièces jointes, et date de fin (si vous optez pour un préavis).
- Anticiper le risque indemnitaire : à défaut d’exception valable, le préjudice principal correspond à la marge brute sur coûts variables (chiffre d’affaires – coûts variables – économies de coûts fixes) pendant la durée de préavis qui aurait dû être octroyé.
5. En synthèse pour TPE/PME et entrepreneurs
- Oui, la rupture immédiate est possible mais uniquement si vous documentez une faute grave incompatible avec la poursuite de la relation ou un cas de force majeure défintif.
- Sinon, sécurisez par un préavis écrit (date de fin obligatoire), et gardez en tête le plafond 18 mois en cas de litige sur la durée du préavis.
- Dossier de preuves, mises en demeure, cohérence des motifs, et évaluation du préjudice (marge sur coûts variables sur la durée de préavis).
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